La mort des loups
Article mis en ligne le 22 août 2016
dernière modification le 31 octobre 2016
La mort des loupsLes villes sont debout la nuit dans les maisons de l’amour fouDes appareils marchent tout seuls branchés sur des soleils de voltsDes enfants jouent à l’amour mort dans des ascenseurs accrochésÀ d’autres cieux, à d’autres vies là-bas sur les trottoirs glacésDes assassins prennent le temps de mesurer leur vie comptéePerchés comme des oiseaux de nuit sur leur arme qu’ils vont tirerComme on tire une carte alors qu’on sait qu’on est toujours perdantDans le matin les coups de feu s’agitent comme des menottesOn ne les voit jamais que lorsqu’on les a prisAlors on voit leurs yeux comme des revolversQui se seraient éteints dans le fond de leurs yeuxAlors on n’a plus peur de ces loups enchaînésEt on les fait tourner dans des cages inventéesPour faire tourner les loups devant la sociétéDes loups endimanchés des loups bien habillésDes loups qui sont dehors pour enfermer les loupsJe les aime, ces loups qui nous tendent leur vie.Je les aime !Les routes sont des chiffres bleus dans la tentation du printempsDu deux cent vingt à la Centrale à deux cent vingt vers l’hôpitalDes drogués sortent dans la cour faire cent pas avec le ventEt la Marie dans les poumons, ils se vendent pour trois dollarsDes grues qui font le pied de nez aux maisons blêmes mal chausséesDes magazines cousus de noir ressemblent aux linges de la mortLes cathédrales de la nuit ont des cafés au fond des coursOn a flingué deux anges blonds dans un café de ClignancourtC’est eux, toujours les loups qui dérangent la nuitQui la font se lever dans le froid du métalC’est eux qu’on chasse alors qu’il ne tiendrait à rienÀ peine un peu d’amour sans le Bien ni le MalMais on les fait dormir au bout d’un téléphoneQu’on ne décroche pas pour arrêter la mortQui vient les visiter, la cigarette aux lèvresEt le rhum à la main tellement elle est bonneJe les aime, ces loups qui nous tendent la patte.Je les aime !On oublie tout et les baisers tombent comme des feuilles mortesLes amants passent comme l’or dans la mémoire des westernsLes images s’effacent tôt dans le journal que l’on t’apporteEt les nouvelles te font mal jusqu’à la page des spectaclesÀ la une de ce matin il y a deux loups sans queue ni têteIls sont partis dans un panier quelque part dans un pays douxOù la musique du silence inquiète les hommes et les bêtesCe pays d’où l’on ne revient que dans la mémoire des loupsLorsque j’étais enfant j’avais un loup jouetUn petit loup peluche qui dormait dans mes brasx3Et qui me réveillait le matin vers cinq heuresChaque matin à l’heure où l’on tuait des loupsJe les aime ces loups qui m’ont rendu mon loupJe les aime !On oublie tout et les baisers tombent comme des feuilles mortesLes amants passent comme l’or dans la mémoire des westernsLes images s’effacent tôt dans le journal que l’on t’apporteEt les nouvelles te font mal jusqu’à la page des spectaclesÀ la une de ce matin il y a deux loups sans queue ni têteIls sont partis dans un panier quelque part dans un pays douxOù la musique du silence inquiète les hommes et les bêtesCe pays d’où l’on ne revient, ce pays d’où l’on ne revientCe pays d’où l’on ne revient que dans la mémoire des loupsDes loups... des loups... des loupsJe les aime ces loups qui m’ont rendu mon loup
LÉO FERRÉ 1976