Les assignats inflationnistes
Article mis en ligne le 23 juin 2021

Les assignats inflationnistes (1790-1796) ?

Tout processus révolutionnaire, s’il n’arrive pas à s’étendre, est condamné à dépérir ; la Grande Révolution française n’a pas échappé à cette sinistre lapalissade ! Blocus anglais, « économie de guerre », spéculateurs en tous genres, rappellent d’autres souvenirs dramatiques :

« Enlever à la France ses colonies, détruire sa puissance maritime et arrêter son développement industriel et son expansion coloniale, telle fut la politique qui rallia le grand nombre en Angleterre. […] C’était la guerre, jusqu’à l’épuisement complet, des deux rivaux qui se partageaient les mers. Et ces guerres menèrent la France à la dictature militaire. […] c’est la guerre qui donna la première impulsion au soulèvement de la Vendée. Elle fournit aux prêtres l’occasion d’exploiter la répugnance de ces populations à quitter leurs bocages pour aller combattre, on ne sait où, à la frontière ; elle aida à réveiller le fanatisme des Vendéens et à les soulever au moment où les Allemands entraient en France. […] Mais si ce n’était que la Vendée ! Partout, en France, la guerre créa une situation si affreuse pour la grande masse des gens pauvres, qu’on est à se demander comment la République réussit à traverser une crise aussi formidable. […] C’est qu’on n’enlève pas impunément à une nation de 25 millions d’habitants, près d’un million d’hommes dans la fleur de l’âge, et peut-être un demi-million de bêtes de trait pour les besoins de la guerre, sans que la production agricole s’en ressente. On ne livre pas non plus les denrées d’une nation au gaspillage inévitable des guerres, sans que la pénurie des miséreux ne devienne d’autant plus grave, alors même qu’une nuée d’exploiteurs s’enrichissent aux dépens du trésor public … » (pages 309/ 310 de La Grande Révolution (1789-1793), éditions du Sextant 2011, par Pierre KROPOTKINE) ;

« Par exemple, parmi les ennemis mortels de tout processus révolutionnaire, il y a les étals vides et son corrélat : le marché noir inflationniste. Une transition révolutionnaire qui se retrouve face à ça est cuite. C’est dire qu’il y a intérêt à l’avoir pensé avant. La collectivité doit s’organiser pour déterminer l’ensemble des biens sur lesquels une tranquillité absolue doit régner pour tous : alimentation de qualité, logement de qualité – également encore à conquérir, mais qu’au moins il n’y ait aucun recul –, énergie, eau, moyens de communication, médecine et pharmacie, et « quelques autres choses encore » (Marx et Engels). Le renoncement et la substitution ne commencent qu’à partir de ce socle. Héritant du niveau de développement des forces productives du capitalisme, nous avons des chances raisonnables d’y parvenir – c’est tant mieux. Les révolutions antérieures n’avaient pas eu cet avantage, et elles l’ont cruellement payé. […] Drames du décollage économique forcé dans des rythmes infernaux, drames d’ailleurs pas forcément économiques : drames humanitaires, puisque ces transitions se sont payées de terribles famines, et drames politiques car seule la poigne de fer des régimes a « tenu » les populations à la grande transition dans des conditions aussi difficiles … » (pages 99/ 100 de l’ouvrage de Frédéric LORDON, Figures du communisme, La fabrique 2021) ;

Sources :

Cf. WHITE Andrew, La Crise financière française de 1789-1799 – Fiat Money Inflation in France. How It Came, What It Brought, and How It Ended, traduction de l’édition de 1896 par Anne Confuron et Marc Géraud, Le jardin des livres 2013 : « Le livre est un exposé chronologique et logique de la grave crise financière qui frappa la France révolutionnaire entre 1789-1799 après que les autorités se furent lancées dans l’émission, en quantités de plus en plus importantes, de papier-monnaie non convertible et mal gagé, sous forme d’assignats d’abord, de mandats ensuite. L’inflation désastreuse qui devait résulter fatalement, sous l’effet de ce que l’auteur présente comme une mécanique implacable, de l’usage irréfléchi de la planche à billets conduisit à la ruine du pays, non seulement économiquement, mais aussi, d’après l’auteur, moralement, provoquant corruption, étouffement de l’épargne et spéculation … LIRE LA SUITE

AGLIETTA Michel et André Orléan, La violence de la monnaie, PUF 1998 ;

ALBERTINI Jean-Marie Albertini (Collectif), Histoire de la Monnaie, du troc à l’euro, Éditions Sélection du Reader’s Digest 2000 ;

BAUMANN Eveline (Collectif), L’argent des anthropologues, la monnaie des économistes, L’Harmattan 2008 ;

GRAEBER David, Dette – 5 000 ans d’histoire, Poche 2016 ;

KAPLAN Steven, Le Pain, le peuple et le roi. La bataille du libéralisme sous Louis XV, Perrin, 1986 ;

LECERF Jean, L’or et les Monnaies. Histoire d’une crise, Gallimard 1969 ;

MUSZYNSKI Maurice Muszynski, Les assignats de la Révolution française, Éditions Le Landit 1981 …

ORAIN Arnaud, La Politique du merveilleux – Une autre histoire du système de Law (1695-1795), Fayard 2018 ;

Notes :

A) Sous l’Ancien Régime, l’unité monétaire était la livre ; 12 deniers valant un sou et 20 sous faisant une livre. Enfin, l’écu d’argent valait 6 livres et le louis d’or 24 livres.
Des titres d’emprunts émis par le Trésor en décembre 1789, dont la valeur était garantie par les biens nationaux, devinrent un véritable papier monnaie en avril 1790. L’assignat de 100 livres valait à l’origine 100 livres-métal. Mais les Assemblées successives, pour faire face aux contraintes du temps, multiplièrent ses émissions. Il ne cessa dès lors de se dévaluer, entraînant un forte inflation. Il est supprimé en mars 1796.
En parallèle, la Convention, en décembre 1793, divisa la livre en centimes et décimes. En 1795, on décréta que la livre se nommerait désormais « franc ». En 1803, Bonaparte décida la frappe de pièces d’argent de cinq francs, de deux francs, d’un franc, de cinquante centimes et de vingt-cinq centimes, de pièces d’or de vingt et quarante francs … Ce « franc, dit germinal » (nom de la date de la loi) allait perdurer jusqu’au lendemain de la Première Boucherie impérialiste.

B) « Jacques II de Chabannes, seigneur de La Palice, maréchal de François Ier, mort pendant le siège de Pavie (1525). Ses soldats lui écrivirent une chanson :
Hélas, La Palice est mort,
Il est mort devant Pavie ;
Hélas, s’il n’était pas mort,
Il ferait encore envie … » (merci WIKI)

A lire aussi : un ARTICLE DE LA REVUE GAVROCHE sur les assignats

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