5 - Organisations : journaux, clubs, assemblées, sections, comités, Commune insurrectionnelle
Article mis en ligne le 15 avril 2021

JOURNAUX, LIVRES, PAMPHLETS, CAHIERS

Pages 90/94 HAZAN Histoire RF …
Pages 38/40 « Cahiers de doléances, le testament d’un ordre », par Mathilde LARRERE, in L’Humanité HS, 1789-2019 : L’égalité, une passion française …
GOUBERT Pierre et DENIS Michel, 1789 – Les Français ont la parole, Archives 1964, réédition Gallimard 2013 …

Face à la dette accablante héritée principalement des guerres de l’Ancien Régime, à l’impossible réforme fiscale se heurtant à l’opposition des privilégiés, le roi se résout à convoquer les États généraux. Au cours de la campagne électorale de 1788 paraissent d’innombrables affiches, caricatures, tracts dont le retentissant pamphlet de Sièyes « Qu’est-ce que le tiers état ? » [Résumé percutant du problème, cette brochure se poursuit ainsi : « Tout. Qu’a-t-il été jusqu’à présent dans l’ordre politique ? Rien. Que demande-t-il ? A y devenir quelque chose. » 30 000 exemplaires sont vendus en quelques jours.] La liberté de la presse n’étant, elle, véritablement reconnue que par l’article XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen voté le 24 août 1789.
L’esprit des Lumières traverse tout le siècle. Ses ouvrages corrodent lentement les piliers de l’idéologie monarchique par l’acide de la dérision, de la raison critique, du libertinage, de l’athéisme et du matérialisme. On peut citer le Système de la nature du baron d’Holbach (dont l’ouvrage, à peine sorti est aussitôt condamné et brûlé en août 1770), Du contrat social de Rousseau (un des textes majeurs de la modernité, publié en 1762) et l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, éditée de 1751 à 1772 sous la direction de Diderot. « L’assaut idéologique désormais incessant contre l’Ancien Régime n’a pas été préparé par des professionnels ou des avocats, mais par une poignée d’aristocrates mécontents, de littérateurs, de prêtres transfuges, de publicistes et d’éditeurs, qui ensemble, forment un groupe hétérogène sur le plan social et intellectuel. Leur nombre et leur condition sociale comptent moins que la cohésion idéologique qui les unit et leur talent oratoire. Ils surent capter l’attention du public des centres urbains en employant une rhétorique révolutionnaire inédite, où fleurissaient des idéaux tels l’égalité, la démocratie et la volonté générale … » [ISRAEL 48]

Les CLUBS

La mauvaise récolte de l’année provoque des émeutes frumentaires. Dans les milieux populaires, on pense que les privilégiés stockent le blé pour affamer et ainsi réduire la résistance politique du Tiers. Des clubs, un moment interdits, se reconstituent tant à Paris qu’en province [BEAUREPAIRE 34 et 50 ; PERONNET 64 ; VOVELLE 46, 162 et 191/ 194] :

Le club des Jacobins, logé à partir d’octobre 1789 rue St-Honoré dans un ancien couvent, permet l’affiliation de sociétés provinciales. Malgré des scissions internes [Juillet 1791 : les Feuillants, comme La Fayette ou Barnave, favorables à une monarchie constitutionnelle, ne survivront pas au 10 août.], à partir du coup de force du 2 juin 1793 [Les sections parisiennes encerclent et menacent la Convention, exigeant l’application des mesures du maximum des prix, une aide aux indigents et la mise en accusation des députés brissotins. Tournant important car c’est la première fois que la « rue » pèse sur le déroulement de la RF en éliminant une faction au pouvoir !], les Montagnards, qui siègent à gauche de l’Assemblée sur les bancs les plus hauts sont plus sensibles aux difficultés populaires. Ils s’appuient donc sur leur club et ses filiales provinciales, ce qui leur donne un puissant réseau d’informations et de diffusion de mots d’ordre. Le vaste maillage de plus de 5 000 communes ayant possédé des associations populaires donne au « pouvoir jacobin » cohérence et autorité au cœur de l’an II (fin 1793-printemps 1794). Cette structure, à laquelle se consacre « un demi-million d’adhérents, une centaine de milliers d’activistes » [VOVELLE 195] se heurte pourtant aux contradictions du moment. Comment, en effet, préserver l’initiative d’entrepreneurs ou de gros fermiers et l’exigence taxatrice de salariés ou de petits producteurs ? Comment favoriser l’accès de tous à la propriété et la nécessité de maintenir l’unité de Tiers état en n’excluant pas les « bourgeois » ? Comment concilier démocratie directe venue d’en bas avec les exigences centralisatrices de « l’Etat révolutionnaire » en guerre ? …
A partir d’avril 1790, le club des Cordeliers devient l’organe d’expression des sans-culottes [BEAUREPAIRE 54, PERONNET 242 ; VOVELLE 103/ 108]. Danton et Marat (avec son journal L’Ami du peuple) en sont des orateurs appréciés. Il dispose d’une aile radicale représentée par les « Enragés » (Jacques Roux, Varlet …). Les Cordeliers jouent un rôle important lors des journées du 10 août 1792 [La prise des Tuileries marque la fin du compromis réformiste essayant d’unir, à l’anglaise, « le Roi, la Loi et la Nation ». Cette évolution ayant échoué, il faut poursuivre la Révolution.], du 31 mai au 2 juin 1793 [Ces journées voient les sectionnaires apporter leur concours aux Montagnards pour éliminer les Girondins.] et du 4/ 5 septembre 1793 [Fin août 1793, les « Hébertistes » occupent le devant de la scène ; ils contrôlent le club des Cordeliers, la plupart des sections parisiennes et disposent du ministère de la Guerre. Le 4 septembre, ils réclament à la Convention d’énergiques mesures contre les ennemis de la RF et l’application du maximum des prix. Le 5, nouvelle pétition armée. La Convention obtempère et choisit deux leaders populaires pour entrer au Comité de Salut public : Billaud-Varenne et Collot d’Herbois. Une grande loi répressive, définissant les « suspects », est votée et les sociétés fraternelles reçoivent des pouvoirs de police et de surveillance. Les salaires sont bloqués et les districts sont autorisés à fixer un prix maximum sur 24 articles.].

« Les Cordeliers, c’était tout autre chose. […] Son but, plus modeste et plus pratique que celui des Jacobins, était de « dénoncer au tribunal de l’opinion publique les abus des différents pouvoirs et toute espèce d’atteinte aux droits de l’homme » [Albert Mathiez, Le Club des Cordeliers pendant la Crise de Varennes et le massacre du Champ-de-Mars, Champion 1910]. Protecteurs des opprimés, redresseurs des abus du pouvoir, les Cordeliers avaient comme emblème « l’œil de la surveillance », grand ouvert sur les défaillances des élus. « Ils provoquent des dénonciations, ils entreprennent des enquêtes, ils visitent dans les prisons les patriotes opprimés, ils leur donnent des défenseurs, ils saisissent l’opinion par des placards. » La cotisation était minime (une livre 4 sols, soit 2 sols par mois) et le club admettait des membres de toutes conditions, y compris des citoyens passifs. […] La grande force des Cordeliers était leur lien avec les sociétés fraternelles, clubs de quartier qui se multiplièrent à Paris à partir de l’hiver 1790. La première et la plus célèbre, qu’on appelait la Société fraternelle tout court, fut fondée par Claude Dansart, un maître de pension qui, tous les soirs, réunissait dans une petite salle du couvent des Jacobins « les artisans, les marchands de fruits et légumes du quartier, avec leurs femmes et enfants, et il leur lisait à la lueur d’une chandelle qu’il apportait dans sa poche, les décrets de la Constituante qu’il expliquait ensuite. » […] Un comité central, présidé par François Robert, journaliste au Mercure national, coordonnait leurs activités … » (pages 89/ 90, Hazan)
Les clubs, comme d’autres associations fraternelles, ont donc joué un rôle majeur dans la dynamique de la RF. Ils ont constitué des foyers ardents d’agitation et de brassage politique ; ils ont aussi favorisé le vaste réseau national qui a permis la diffusion d’idéaux révolutionnaires dans l’Hexagone.

COMITE de SALUT PUBLIC

Le Comité de Salut public, appelé aussi Grand comité, créé au printemps [« Le Comité fut créé le 6 avril pour remplacer l’inefficace Comité de défense générale … » HAZAN 215/ 216], ne devient « efficace » qu’après son renouvellement de juillet 1793 avec l’entrée de Montagnards actifs. Ses 12 membres [Couthon, Robespierre, Saint-Just (trio d’idéologues), Prieur de la Marne (qui passe la plus grande partie de son mandat en mission – Cf. Caratini 452) Billaud-Varenne et Collot d’Herbois (venus des Cordeliers ; responsables de la correspondance avec les administrations civiles et les représentants en mission) font face à des « modérés » comme Jean Bon Saint-André (s’occupe de la Marine), Robert Lindet (dirige la section des approvisionnements) et Carnot + Prieur de Côte-d’Or (guerre et armements). Hérault de Séchelles (affaires diplomatiques) et Barère (chargé des relations avec la Convention) sont plutôt au « centre » … « La division du travail avait formé en son sein trois groupes qu’on désignait par des noms significatifs : Barère, Collot et Billaud étaient les « gens révolutionnaires » ; Carnot, Prieur et Lindet les « travailleurs » ; Robespierre, Saint-Just et Couthon les « gens de la haute main » ou « triumvirat » en raison des idées de domination qui leur étaient attribuées. » (Gavroche n°35, page 11)] sont – sauf Hérault de Séchelles, exécuté avec les Dantonistes – constamment réélus par la Convention qui fait le gros dos. Cet EXECUTIF** tout puissant dirige l’armée et envoie dans les départements des représentants en mission chargés de pouvoirs étendus. Son autorité s’exerce directement sur les districts et communes à l’aide d’agents nationaux et de comités de surveillance. S’il n’existe pas chez les Jacobins de théorie centralisatrice – on épure en permanence l’administration jugée corruptrice voire corrompue – on assiste pourtant à une certaine inflation bureaucratique !
« Ainsi structuré, le Comité coiffe le Conseil exécutif (les ministres) et administre le pays par-dessus leur tête. Il a la haute main sur les généraux qu’il nomme et, en principe, sur le Comité de sûreté générale dont les 12 membres sont nommés par la Convention sur sa proposition. Seules les finances, dont Cambon (1756-1820) est le ministre de fait, échappent à son contrôle. » (HAZAN 253)

COMMUNE insurrectionnelle de Paris (9 août 1792 / mars 1794)

Née dans la nuit du 9 au 10 août 1792 : « Le tocsin sonnait, les insurgés qui allaient prendre d’assaut les Tuileries au petit matin fourbissaient leurs armes. Les commissaires de 28 des 48 sections que comptait alors Paris profitèrent de la confusion pour évincer la municipalité en place et confier les pouvoirs à une Commune insurrectionnelle. […] C’est une lutte de chaque instant entre Commune et Assemblée. La majorité a beau y être du même bord, députés et commissaires ont beau se côtoyer aux Jacobins, ils incarnent deux principes, deux France : la Convention, même élue dans un climat peu favorable à la liberté des suffrages, c’est le gouvernement représentatif ; la Commune, une expression de la démocratie directe et Paris opposé au reste de la France. Dès la chute du roi, la Commune fait le siège de l’Assemblée. […] La tension monte à la Convention entre Jacobins et Girondins. Pour avoir la peau des seconds, les premiers ont besoin d’une large mobilisation populaire. La Commune coordonne les initiatives dans les sections, mobilise, arme, hurle au complot, appelle à des mesures de terreur pour en finir avec le soulèvement vendéen et les traîtres qui se cachent partout. Le 31 mai 1793, c’est elle qui, avec le soutien de la Garde nationale, encercle la Convention pour obtenir le renvoi des députés girondins. Comme l’Assemblée tarde à obtempérer, elle récidive deux jours plus tard et, cette fois, obtient gain de cause. Victoire à la Pyrrhus, car si la Commune a depuis un an servi les desseins des conventionnels jacobins, elle ne leur est plus utile dès lors que la Gironde a été éliminée. Elle représente même une menace, d’autant qu’elle prête une oreille complaisante à tous ceux qui, des Enragés aux Hébertistes, pensent que la Révolution reste à faire. […] Ce furent de longs mois de manœuvres tortueuses, de menaces et de fausses réconciliations entre partisans d’Hébert, de Danton et de Robespierre. Le troisième se montra le plus fort : dans la nuit du 13 au 14 mars 1794, les Hébertistes sont arrêtés, guillotinés le 24. Danton les suit de peu. La Commune est épurée, réorganisée, flanquée d’un « agent national » directement nommé par le Comité de salut public. Cette Commune robespierriste disparaîtra à son tour, avec son chef, en juillet. La Convention avait eu très peur. La ville fut alors divisée en 12 arrondissements dirigés chacun par un maire. C’est seulement en 1977 que la mairie de Paris fut rétablie. » (page 81, GUENIFFEY Patrice, « La fabrique de la Terreur », Le Figaro Histoire d’avril-mai 2019)
Un autre son de cloche ci-dessous avec le rare article de Matthijs : « 1792 – La première Commune insurrectionnelle de Paris » : « Qualifier la Révolution française simplement de révolution bourgeoise est réducteur, et l’expérience de la Commune insurrectionnelle de 1792 nous l’indique, comme nous l’indiquent le rôle joué par la paysannerie ou l’existence d’une « extrême gauche » de la Révolution, avec les Enragés ou les babouvistes actifs dans cette Commune. De par sa position centrale géographiquement, la Commune insurrectionnelle de Paris joue un rôle essentiel de double-pouvoir face à la Convention, de l’été 1792 à l’été 1794. D’ailleurs la durée de la Commune insurrectionnelle sera la même que celle de la Convention, qui naît à la faveur de l’insurrection du 10 août 1792 … » (la suite sur le site de l’Union Communiste Libertaire)

SECTIONS

En 1789, Paris est divisé, pour l’élection des députés, en 60 districts. Un an plus tard, on crée 48 sections, nouvelles institutions municipales chargées de tâches administratives mais aussi du maintien de l’ordre. Il y aura donc 48 bataillons de Garde nationale. Les sectionnaires n’étaient plus simplement liés par leur passion de la Révolution, mais aussi par des relations de voisinage, à une époque où chaque profession est concentrée dans une rue. Les sections, souvent flanquées de sociétés populaires et fortes de leurs bataillons armés parfois de canons, se voient peu à peu comme fer de lance de la RF. Ils participent activement aux journées révolutionnaires et s’engagent, avec l’appui des clubs et des députés les plus radicaux, dans une campagne de contestation du système représentatif. Cet embryon de double-pouvoir accuse les élus de confisquer la souveraineté du peuple, réclame le droit de révoquer les élus s’ils n’exécutent pas la volonté populaire, ou celui de valider par référendum les décisions prises par le conseil général de la Commune. La chute des Cordeliers au printemps 1794 sonne la fin de leur pouvoir. Les sections sont épurées et confiées à des proches de Robespierre. C’est la fin du Paris sans-culotte.
« Utile, le sans-culotte l’est encore en participant au travail des comités qui se multiplient dans les sections : comité civil pour aider les pauvres, comité militaire pour aider à l’effort de guerre, comité de surveillance ou comité révolutionnaire pour faire la chasse aux suspects, soldats déserteurs, prêtres réfractaires, et ci-devant contre-révolutionnaires. Dès le lendemain du 10 août, des sections ont créé spontanément à Paris ces comités de surveillance. On en rencontre aussi à Toulouse, à Caen, à Nancy, à Montauban, à Largentière et à Sarrebourg. A côté de ceux des villes, ceux des départements : plus de 30. La loi du 21 mars 1793 les officialise et en ordonne la création dans toutes les grandes villes. La plupart du temps, ces comités civils et révolutionnaires sont moins aux mains de salariés, qui ne dépassaient pas le quart des effectifs qu’à celles des petits patrons. Au sein des sections parisiennes ou provinciales, les éléments les plus radicaux ne l’emportent pas encore et, comme l’historien des sans-culottes, Albert Soboul, l’a montré, la lutte sera âpre, de janvier à septembre 1793, entre modérés, parfois même partisans de la Gironde et « radicaux » sensibles aux paroles des Enragés … » (BERTAUD 195/ 198)

TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIRE

Voir le livre important et récent de BOULANT Antoine, Le Tribunal révolutionnaire – « Punir les ennemis du peuple », Perrin 2018 : « Durant les trois mois qui suivirent la suppression du Tribunal du 17 août [1792], aucune juridiction d’exception ne vit le jour – Louis XVI ayant été jugé et condamné à mort par la Convention elle-même. Toutefois, les circonstances devaient très rapidement se prêter au rétablissement d’un tribunal à caractère politique. […] La gravité de la crise politique, économique et militaire allait réveiller la crainte du complot, la volonté de punir les adversaires – réels ou supposés – du nouveau régime républicain et la nécessité de satisfaire les militants sectionnaires les plus radicalisés. […] Les débats à la Convention se poursuivirent le 10 mars. L’ambiance était particulièrement tendue, les imprimeries des journaux girondins ayant été saccagées à la suite d’une émeute populaire qui pouvait laisser craindre un renouvellement des massacres du mois de septembre précédent et, au-delà, une insurrection contre une partie de la Convention elle-même. […] Les discussions ne semblaient toutefois pas prendre fin lorsque Danton demanda la parole. Appuyant avec force le principe d’un tribunal destiné à punir les contre-révolutionnaires afin de « suppléer au tribunal suprême de la vengeance populaire », l’ancien ministre de la Justice déclara :
« Rien n’est plus difficile que de définir un crime politique. Il est nécessaire que des lois extraordinaires, prises hors du corps social, épouvantent les rebelles et atteignent les coupables. Le salut du peuple exige de grands moyens et des mesures terribles. Pas de milieu entre les formes ordinaires et un tribunal révolutionnaire. Puisqu’on a osé, dans cette assemblée, rappeler les sanglantes journées sur lesquelles tout bon citoyen a gémi [les massacres de septembre 1792], je dirai, moi, que si un tribunal a existé, le peuple, auquel on a si souvent, si cruellement reproché ces journées, ne les aurait pas ensanglantées. Faisons ce que n’a pas fait l’Assemblée législative, soyons terribles pour éviter au peuple de l’être, et organisons un tribunal, non pas bien, c’est impossible, mais le moins mal qu’il se pourra, afin que le peuple sache que le glaive de la loi pèse sur tous les coupables. Je demande que, séance tenante, le Tribunal révolutionnaire soit organisé, et que le pouvoir exécutif reçoive les moyens d’action et d’énergie qui lui sont nécessaires. » [Campardon Emile, Le Tribunal révolutionnaire de Paris, Henri Plon 1866, 2 volumes – ici T1, page 7] Resté célèbre, le discours de Danton escamote le fait que le Tribunal du 17 août existait bel et bien à l’époque des massacres de septembre – qu’il ne put cependant empêcher – pour mieux présenter la nouvelle juridiction comme un moyen de satisfaire les revendications des militants radicaux. […] La condamnation, puis l’exécution des hébertistes brisèrent le mouvement populaire parisien, soumettant la Commune et les sociétés populaires à l’autorité du Comité de salut public. Le renvoi de Danton et de plusieurs de ses partisans devant le Tribunal révolutionnaire allait à son tour couper le gouvernement d’une grande partie de ses soutiens et renforcer sa dictature. Dès novembre 1793, l’ancien ministre de la Justice avait dénoncé les excès de la répression judiciaire à la faveur des victoires remportées à l’intérieur et à l’extérieur, réclamant ainsi que la Terreur fût « rapportée à son vrai but », que des « peines plus fortes » fussent prononcées contre les véritables « ennemis de la liberté » et que la Vendée fût pacifiée. […] Le procès des dantonistes représentait pour le Comité de salut public un enjeu considérable. Plus que tout autre représentant du peuple, Danton bénéficiait d’un immense prestige dans l’opinion et incarnait à lui seul les grandes heures de la Révolution ; un acquittement arraché au tribunal sous la pression d’un public favorable aux accusés était susceptible de porter un coup fatal au gouvernement. […] Le général Westermann, proche de Danton et qui avait été mis en état d’arrestation par un décret de la Convention, rejoignit les accusés sur les gradins, puis le greffier procéda à la lecture du long rapport que Saint-Just avait rédigé contre les dantonistes, prévenus d’être complices d’une « conjuration ourdie depuis plusieurs années par les factions criminelles pour absorber la Révolution française dans un changement de dynastie. » Comme lors du procès des Girondins, la pièce juridique essentielle que représentait l’acte d’accusation était escamotée au profit d’un document produit par un responsable politique ouvertement hostile aux accusés. […] Danton démonta une à une les accusations portées contre lui, rappelant ses discours et ses actes en faveur de la Révolution, se défendant d’avoir jamais été vendu à Mirabeau, à Lafayette et Dumouriez, ou rappelant que Marat avait, lui aussi, voyagé en Angleterre. […] Déconcertés par la vigueur de son éloquence, les juges et l’accusateur public se passaient régulièrement des billets, témoignant d’une fébrilité croissante et ne sachant quelle attitude adopter, tandis que le public applaudissait régulièrement les déclarations de l’accusé. […] De tous les grands procès conduits par le Tribunal révolutionnaire, celui de Danton et de ses partisans est sans nul doute le plus emblématique d’une justice ayant pour seul objet d’éliminer des rivaux politiques sous une apparence de légalité. Tri préalable des jurés, amalgame avec d’autres accusés, absence d’un véritable acte d’accusation, refus de faire comparaître les témoins à décharge, absence de preuves matérielles, raccourcissement volontaire de la durée des audiences, présence de plusieurs membres du Comité de sûreté générale dans l’enceinte du tribunal, absence de plaidoiries, pressions exercées sur les jurés, mises hors des débats des prévenus : tout fut fait pour convaincre l’opinion de la culpabilité des accusés et empêcher un acquittement qui eût remis en cause la légitimité du Comité de salut public … » (extraits pages 33/ 37 ; 165/ 170 ; 173) …

Notes

* Entre les secousses de l’Empire (1804-1815), le retour des monarques [de Louis XVIII (1814 et 1815/ 1824), Charles X (1824/ 1830), Louis-Philippe (1830-1848) à Napoléon III (1851-1870)], ce pouvoir n’est vraiment consolidé qu’après la saignée de juin 1848 et surtout l’écrasement de la Commune [du 18 mars au 28 mai 1871, dont la répression est féroce : sans doute plus de 10 000 morts ; 5 000 déportés et combien d’exilés ? Cf. ROUGERIE, TOMBS ; voir aussi CQFD n° 196 de mars 2021 : « Dans un petit ouvrage intitulé La Semaine sanglante, Mai 1871. Légendes et comptes (Libertalia 2021), l’écrivaine Michèle Audin revient sur cet épisode et quelques légendes qui l’on accompagné. Abordant la question du décompte des victimes, elle conclut que « les évaluations les plus hautes, autour de 15 000 ou 20 000 morts, ne sont pas exagérées ». Ainsi, rappelle-t-elle, « il ne s’agit pas de se jeter des crimes et des cadavres à la tête, mais de considérer les êtres humains qu’ont été ces cadavres avec respect, de ne pas les laisser disparaître encore une fois. » ], et l’avènement de la IIIe République (1870-1940), consécration logique d’un régime enfin moral, car apaisé (le bulletin de vote remplaçant le fusil, la représentation parlementaire et les corps intermédiaires occultant complètement la démocratie directe) !?

** Le schéma ci-dessous ne sert qu’à fixer quelques idées autour du « pouvoir » en 1793. Il manque, bien entendu, d’autres forces en présence (armées étrangères, Vendéens et « Fédéralistes », « mouvements » paysan, etc.), visibles en cartographie. Nulle conclusion hâtive donc car collaborations, frictions et contradictions ne sont ici qu’esquissées. Ainsi les Montagnards s’appuient d’abord sur les plus radicaux avant d’éliminer ces concurrents en Germinal an II (4 et 16 avril 1794) ; la Convention donne de l’argent à la Commune pour son fonctionnement ; les clubs (Cordeliers et Jacobins), comme les sections ou les sociétés populaires provinciales sont loin d’être des blocs homogènes …

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